La racaille des présidents au gnouf, les mono-neurone millionnaires s’amusant avec une balle, les espoirs bientôt et à nouveau déçus, la vie continue jusqu’à la mort. L’âme y survivra-t-elle?
J’ai eu récemment à travailler sur un assortiment de cartes destinées à un mariage. Elégance et sobriété devaient primer, une pointe d’humour pouvait se faire jour, c’était là le cahier des charges.
Lorsque que beauté et sobriété se rencontrent, l’efficacité n’est jamais très loin. Il faut bien sûr être capable de quelques émotions, il faut être sensible pour les appréhender.
En matière de graphisme imprimé, la question du support peut donc devenir primordiale. Non qu’elle soit nécessaire, mais elle se pose en premier, car du support dépend le rendu final, tant d’un point de vue graphique et colorimétrique que d’un point de vue de la sensation que procure le toucher d’un papier.
C’est ma muse et un ami qui m’ont rendu sensible à l’importance du papier en tant que support, mon amour matérialiste pour les beaux objets et ma sensibilité personnelle ayant fait le reste, mélangée à la stupéfaction devant les exploits de certains hommes à savoir les fabriquer.
Il fallait donc pour cette commande un carton d’invitation à la cérémonie de mariage ainsi qu’au vin d’honneur comportant deux volets, une invitation au repas séparée, un menu, ainsi qu’une carte de remerciements et de faire-part.
La douceur de l’événement, sa date à la météo parfaite, ainsi que ses instigateurs, un peu libertins (“Qui refuse les contraintes, les sujétions; qui manifeste une grand esprit d’indépendance, qui fait preuve de non conformisme.”), commandaient l’usage d’un papier sortant de l’ordinaire. Quelques éléments de la fête avaient d’ores et déjà été préparés sur des supports tout à fait exotiques, provenant d’une lointaine contrée du soleil levant.
Comme pour toute commande, le commanditaire avait prévu un budget étendu mais limité. Le talent du graphiste allait avantageusement se lier à des supports haut de gamme, sans qu’ils soient exclusifs et que leur prix ne soit excessif.
Toute la communication autours de cet événement serait faite sur support papier, avec le concours de La Poste comme coursier.
Cette décision supposait l’utilisation d’enveloppes, qui furent choisies parmi la gamme “Pollen” éditée par Clairefontaine (120g/m²). -http://www.clairefontaine-pollen.com/les-cartes-et-enveloppes.html
Les enveloppes d’envoi des invitations seraient rectangulaires au format 220×110 mm, de couleur blanche, celles des remerciements et des faire-parts, carrées, au format 165×165 mm, également de couleur blanche.
Pour l’affranchissement, un timbre aux couleurs de Baccarat en forme de cœur fut choisi opportunément puisqu’édité juste au moment de l’événement.
Le carton d’invitation à la cérémonie, comportant les deux prénoms des mariés dans une typographie calligraphique de belle facture, simple et raffinée, fut décoré par un élément d’une peinture de Tien-shih Lin, illustrant le poème de Liu Yu-hsi’s sur “L’été mourant” (poésie T’ang 618-906 A.D.). A l’intérieur, sur le volet gauche, figurent les coordonnées et sur la partie droite le texte de l’invitation, dans un typographie également calligraphiée mais différente, en cela qu’elle est plus simple et droite, de celle utilisée pour les prénoms. Le revers de l’invitation présente une sombre histoire de robots qui dialoguent, censée être drôle pour les amateurs de cinématographie.
Ce carton d’invitation, envoyé à chacun des participants par voie postale, est imprimé sur un papier Rives tradition extra blanc (250g/m²) de dimensions 210×100 mm fermé, 420×100 mm ouvert, un papier au grain feutré sur toutes ses faces, à la texture traditionnelle et raffinée.
Le carton d’invitation au dîner, de format 210×100 mm, est quant à lui imprimé sur un papier CuriousTranslucent d’Arjowiggins (230g/m²) de dimensions 210×100 mm. C’est un papier calque sur lequel apparaît en faux filigrane, grâce à sa translucidité et à une impression à 20% d’encrage, le dessin monochrome de la peinture de Tien-shih Lin, reprise de la page première du carton d’invitation.
Faut-il le préciser, cet élément graphique d’une beauté d’obédience (ça veut rien dire, on s’en fout) est le fil conducteur de toute la panoplie papetière de cet événement.
Les deux typographies (celle des prénoms et celle du corps de texte) du carton d’invitation sont reprises sur celui du dîner, afin de conserver une ligne graphique facilement reconnaissable, et viennent couvrir une partie du faux filigrane.
Le carton du menu, pour d’évidentes raisons pratiques, est quant à lui fabriqué dans un matériau plus robuste et moins noble: un simple papier couché demi-mat 350 g/m² blanc, au toucher assez lisse, même sans aucun pelliculage (à y réfléchir un Condat aurait mieux fait l’affaire, l’impression du lettrage n’aurait pas présenté le crénelage qu’on distingue à la loupe).
De dimensions 105×150 fermé et 210×150 ouvert, il reprend le motif graphique du carton, mais qui court sur les pages 4 et 1. A l’intérieur, page 2, les vins, et page 3, le menu. La typographie reprend la même disposition que le reste: calligraphie noble en page 1 et calligraphie plus simple en pages intérieures.
Les faire-parts et cartons de remerciements, bien que d’un format différent ont la même première page; l’élément graphique, de même taille, est simplement et judicieusement tronqué sur l’un de ses côtés. Imprimés sur un papier Conqueror diamant étonnamment ultra-blanc alors qu’en papier recyclé, ils présentent un toucher soyeux, sans grain ni aspérité. De dimensions 140×150 fermé et 280x 150 ouvert, il permet l’insertion d’une photo des mariés en costume de pingouins, en page 3; la page 2 étant réservée au texte, toujours typographié selon la charte choisie pour toutes les autres impressions. La page 4 reprend bien évidemment l’histoire cocasse des robots, avec une petite variante dans le propos.
Pour cette recette sobre et élégante, créative et privée, ne comptez pas moins de quatre chiffres. Pour ceux qu’un tel montant rebute par sa petitesse, il est possible de gonfler la facture en utilisant des procédés encore plus coûteux tels que l’embossage, le gaufrage, la dorure ou l’argenture à froid, les découpes ou les vernis sélectifs.
Post-scriptum: et j’allais presque oublier les fameux porte noms! Ceux-ci furent calligraphiés à la main, avec une plume Rotring (le support ne s’y prêtait pas) un feutre Mitsubishi 0.8 mm sur le même papier Curious Translucent que les invitations au dîner. Et jamais je ne vous dirai que c’était les chutes de découpe des invitations 🙂