C’est avec la section T que la Table en était venue à se faire connaître et reconnaître. Il fallait mettre un peu d’eau dans la lie que buvaient les citoyens depuis quelques mois.
Mais cela n’arriverait que bien plus tard, tant l’habitude est aussi une consolation.
La section T regroupait ceux des bleuets qui n’avaient que la partie concernée par la violence qui fonctionnait encore dans leur cerveau. Curieusement, les méthodes d’apprentissage de la police avaient réussi à leur octroyer également un soupçon de tactique et de planification.
Hélas pour leur grand chef, cela allait vilainement se retourner contre lui.
A force de castagner des plus faibles, non armés et finalement bien peu violents, sauf avec quelques vitrines, ces bleuets s’étaient mis en tête de faire du galon auprès des jaunes en établissant un acte mémorable.
De la même façon que le commando trogneux avait agi, mais avec plus de moyens, ils s’étaient emparé du premier flic sans trop l’abîmer. Sans savoir que c’étaient eux, leurs collègues robotisés admiraient sous cape ce fait d’arme encore jamais vu dans une démocrature moderne.
Il faut dire que les “malfrats”, comme ils se faisaient appeler, disposaient du même matériel que leurs homologues sis du “bon côté” de la barrière (il y avait déjà pourtant beaucoup plus d’une barrière à cet instant).
Toute la hiérarchie avait déjà été contaminée et le seul endroit où, hors période estivale populaire, personne ne viendrait perturber leur plan était le fameux fort de brégante.
Tous les accès montraient une apparente normalité, sécurisés et répondant “vert”, comme si tout allait bon train, à chaque sollicitation, même élaborée.
De fait, personne hors des réseaux de la Table et de la section T ne pouvait se douter ce qui se tramait derrière les murs et les télécommunications hautement technologiques du fort. De l’extérieur tout était absolument normal.
Et pourtant, Drussac l’avait démontré, c’est bien en ce lieu que castaner s’était fait neutraliser.
Il était arrivé presque étouffé dans un volumineux colis, par hélicoptère, destiné initialement aux réparations d’une piscine dont la commanditaire n’avait plus l’usage. Pour une fois, il n’y avait eu aucune fuite malgré, et cependant grâce à, la tentaculaire organisation des citoyens.
Un coup de bol, ça arrive.
Une fois séquestré, son sort était scellé. La mise en scène était assez simple: prouver que les armes non léthales pouvaient bel et bien tuer, surtout quand il n’y a plus d’hôpitaux à disposition.
Quel dommage que la buzin se soit déjà faite zigouillée, se disaient ceux de la section T.
Mais voilà, chacun mérite la part de sa partie, et eux, c’était des bleus, ils n’avaient droit qu’à l’emballeur de boîte de nuit.
Avec une science très éloignée de l’art du shibari, le cuistre avait été saucissonné façon momie avec un épais scotch toilé de qualité militaire. cependant que quelques interstices étaient laissés découverts entre les bandelettes collantes, on y avait disposé entre les jambes quelques grenades au TNT (non létales) qui exploseraient chacune à quelques heures d’intervalle.
Immobile sur un tabouret, la tête maintenue dans un filet par un crochet au plafond afin afin d’éviter toute esquive, une couronne de LBD 40 (d’autres armes non létales) faisaient cercle et donnait un air jupitérien.
De la même façon, le déclenchement des coups serait progressif. Une petite subtilité: plusieurs LBD étaient dirigés vers les yeux, ainsi, après une première blessure, d’autres suivraient au même endroit. C’était une sorte d’expérimentation sur la résistance des corps aux coups “légaux et non létaux”.
Évidemment, les explosions finales des grenades situées entre les cuisses, sectionnant les artères fémorales, porteraient le coup fatal.
La scène ayant duré plusieurs jours, un monteur vidéo avait été dispatché pour faire en sorte que les coups soient vu au ralenti (on travaillerait également les couleurs afin d’accentuer l’aspect dramatique de l’action) alors que le reste de la décrépitude serait plus ou moins accélérée. Tout cela dans un but de lisibilité évidente, l’internaute ne consacrant que peu de temps à ces gâteries.
La vidéo serait bien sûr également disponible dans sa version brute… si l’on ose dire.
L’intelligence, en ce début de l’ère polluée, avait montré ses limites. La corrélation effective entre elle et le bien-être économique n’avait pas tenu compte du facteur V (la dynamique Vivant).
Du moins, ceux qui étaient les véritables sages n’avaient jamais été écouté, au profit de pseudo élites qui tiraient toutes les ficelles et manipulaient les masses avec une déconcertante facilité.