CAROTTER, verbe.
I. Verbe intrans., vieilli, fam.
A. JEUX. Jouer mesquinement, ne hasarder que peu d’argent à la fois. Ne faire que carotter (
Ac. 1835-1932).
Rem. 1. ,,Se dit surtout au jeu de billard“ (
Lar. 19e, QUILLET 1965).
2. Cf. carotte D 1 b.
B. P. métaph. Ne faire que des affaires médiocres.
Pour s’enrichir, il s’agit ici de jouer de grands coups; autrement on carotte (BALZAC,
Le Père Goriot, 1835, p. 125).
[Avec un obj. interne] Loc.
Carotter l’existence. Vivre chichement. Synon.
ne vivre que de carottes.
II. Verbe trans., fam., pop. ou
arg.
A. Carotter qqc. (à qqn). Soutirer quelque chose (à quelqu’un), en particulier des sommes d’argent relativement modestes en abusant habilement de sa crédulité, de sa générosité.
Goujats (…) tout entiers à se carotter les uns aux autres un écu neuf ou une vieille idée (E. et J. DE GONCOURT,
Journal, 1857, p. 461).
Carotter de l’argent à qqn. Je carotte froidement des volumes, sous prétexte de service de presse supplémentaire (COLETTE,
Claudine en ménage, 1902, pp. 135-136).
1. [L’obj. désigne une réalité concr.] :
1. Ce qui est trop commode, monsieur, c’est de s’emparer du bien des autres et d’en user comme du sien; c’est de leur carotter leur monnaie sous le prétexte mensonger d’assurer leur droit au sommeil, à l’intimité et au repos, …
COURTELINE, L’Article 330, 1900, p. 279.
2. [L’obj. désigne une réalité d’ordre spirituel ou intellectuel] Ce poète [Beauvivier] (…) qui se flatte, (…), de séduire son Juge et de carotter le Paradis (BLOY, Le Désespéré, 1886, p. 246).
2. … Berthelot, notre nouveau ministre des affaires étrangères, carottant à l’ambassadeur des renseignements sur la Russie, tandis que l’ambassadeur carottait du ministre-chimiste des renseignements sur le moyen de tirer parti des phosphates qu’il possède…
E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1895, p. 869.
3. Arg. des casernes
a) Échapper au règlement par un subterfuge. Carotter le service, les corvées, l’exercice.
b) S’attribuer, en l’imitant habilement, l’allure de quelqu’un. Carotter l’idiot; carotter le génie de la Bastille (ESN. 1966).
4. Emploi abs. [Le compl. d’obj. est implicite] Chercher et obtenir par la ruse ou l’habileté des avantages.
Carotter avec qqc. Se livrer à la recherche de petits profits, spéculer avec quelque chose :
3. Une affaire exige le concours de tant de capacités! Mettez-vous avec nous dans les affaires! Ne carottez pas avec des pots de pommade et des peignes : mauvais! mauvais! tondez le public, entrez dans la spéculation.
La spéculation? dit le parfumeur, quel est ce commerce?
BALZAC, César Birotteau, 1837, p. 315.
Carotter sur qqc. En détourner frauduleusement une partie à son propre bénéfice. On s’est aperçu que l’économe carottait depuis longtemps sur le budget de la nourriture (DUB.) :
4. [Prochon au lieutenant]
… je t’en flanque [des bagages] sur le rable; je carotte sur la quantité; je réquisitionne une brouette; je… Ah! Quel fourbi!
GENEVOIX, La Boue, 1921, p. 66.
B. Carotter qqn (de qqc.)
1. Lui soutirer quelque chose habilement, en particulier des sommes d’argent relativement modestes, en abusant de sa crédulité, de sa générosité. On l’avait carotté d’une ration de pain et de plusieurs centimes (E. DE LA BÉDOLLIÈRE, Les Français peints par eux-mêmes, L’Armée, t. 5, 1842, p. 52).
P. ext. Duper, tromper en vue d’un avantage. La vieille habitude de carotter l’électeur (BERNANOS, La Grande peur des Bien-Pensants, 1931, p. 443); carotter le fisc (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 169) :
5. … oui, plus de ces gens-là qui carottent le travailleur et qui le font chanter, par une infinité de ficelles indignes.
D. POULOT, Le Sublime, 1872, p. 203.
6. Les absents ont toujours tort. Cela signifie… que les absents doivent être invariablement carottés, filoutés, flibustés… de toutes les manières imaginables.
BLOY, Exégèse des lieux communs, 1902, p. 245.
Pop. Escroquer :
7. … La caisse s’est vidée sans que je devinasse par quelle fente! Ils étaient une bande à m’emprunter, à me carotter, à me voler… Ce que je sais, c’est qu’ils ont emporté jusqu’au dernier liard.
ZOLA, Les Héritiers Rabourdin, 1874, II, 2, p. 172.
2. P. ext., arg. Sonder quelqu’un, le faire parler. Synon. tirer la carotte à qqn (cf. carotte D 2 a) :
8. V’là les gendarmes! Ils nous sacréandent, ils nous carottent. En prison. (…).
Brument déclara vrais en tous points les aveux de son complice.
MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, Une Vente, 1884, p. 145.
Prononc. et Orth. : []. FÉR. Crit. t. 1 1787 propose la graph. caroter. Ds Ac. 1740-1932. Étymol. et Hist. 1. 1732 emploi intrans. « jouer mesquinement, en ne risquant presque rien » (Trév.); 1835 en partic. terme de bourse « risquer peu » (BALZAC, Le Père Goriot, p. 34); 2. emploi trans. « escroquer quelqu’un » (BALZAC, Petit dict. critique et anecdotique des enseignes de Paris, O.D., t. I, p. 158 ds Fr. mod., t. 22, p. 201); 1842 « extorquer de l’argent à quelqu’un » (FLAUBERT, Correspondance, p. 121 : les fils inventent un tas de blagues pour carotter leur père, afin d’en soutirer de l’argent); 1858 p. ext. arg. milit. carotter le service « chercher à esquiver » d’apr. LARCH., p. 433. Dér. de carotte* étymol. A 1 pour le sens 1 (cf. le sens de l’expr. ne vivre que de carottes, Ac. 1694) et B pour le sens 2; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 33. Bbg. ROG. 1965, p. 50. SAIN. Lang. par. 1920, p. 141, 385.