Les estampes japonaises sont d’abord des impressions monochromes qui deviendront polychromes avec les progrès de l’imprimerie. Ce sont bêtement, si l’on peut dire étant donné la maîtrise nécessaire à leur réalisation, de gros tampons de bois gravés et encrés appliqués soigneusement sur du papier.
La fascination qu’exercent les estampes provient du trait de l’artiste qui dessine le sujet, mais aussi de l’art du graveur qui doit faire apparaître en relief sur une planche de bois de cerisier chaque trait, aussi fin soit-il, chaque aplat de couleur, le tout en se souciant de l’exacte superposition des différents tampons, tels des calques.
On peut déjà soupçonner que cette notion de calque et de superposition donnera lieu aux dessins animés dont les Japonais sont incontestablement les maîtres, tant techniquement que d’un point de vue créatif.
La création se nourrit non seulement de la quotidienneté mais aussi et surtout de la souffrance expérimentée, et c’est ce qui lui donne autorité et altruisme, on y reviendra peut-être plus tard.
L’apparition des estampes au XVIIème siècle à Edo (aujourd’hui Tokyo) a été favorisée par les bourgeois et les artisans qui voulaient promouvoir un art qui leur ressemble, abordable et accessible, à la différence de l’art aristocratique qu’était la peinture sur fond d’or, que l’on retrouve décorant les somptueuses demeures et châteaux des puissants sous la forme de kakémonos, de paravents, ou de parois mobiles.
Les estampes représentent les métiers, les animaux, la nature, les scènes de la vie quotidienne; bref, c’est un art que l’on pourrait qualifier de populaire.
On peut même aller jusqu’à dire que c’est un art de calendrier (sans aucune comparaison avec les chatons de celui des PTT, encore que les chats sont évidemment très vénérés au Japon, comme tout ce qui existe, d’ailleurs).
L’estampe est peu onéreuse et elle est destinée à une diffusion la plus large possible, grâce à l’imprimerie.
C’est justement une voie qu’on me conseillait de suivre lorsque je m’enquis de l’avis de quelques amis à propos de mes récentes créations photographiques. Je fus d’abord un peu intrigué par l’exemple d’un Warhol dont je n’apprécie guère le délire publicitaire, étant donné les conséquences néfastes, visibles aujourd’hui, d’un amusement tout à fait acceptable et même enviable à l’époque.
Evidemment, je préfère me référer à la multiplication des estampes pour m’autoriser à faire profiter le plus grand nombre (encore que limité) de reproductions de mes œuvres.
Concernant cette problématique du nombre infini de reproductions contre l’unicité d’une œuvre, j’ai mon avis: la sériation est une donnée d’abord marchande avant d’être éventuellement pédagogique, et elle peut dénaturer le geste créatif, le sentiment mis dans une œuvre. C’est probablement ce que doit vouloir signifier, entre autres, l’exposition d’objets tout à fait usuels et banals tels qu’une fourchette sans valeur historique, par exemple, dans un musée.
Cependant, le capitalisme néo-libéral a également fait sienne l’unicité des œuvres, en faisant croire que c’est une raison pour augmenter indéfiniment la valeur marchande d’icelle.
Il faut donc trouver un milieu, juste, afin que la plupart puisse acquérir des œuvres, sans qu’elles deviennent de bêtes objets de supermarché.
Je pense, à contrario de bien des gens du milieu, que l’œuvre doit également être décorative et présenter une esthétique digne (en cela je laisse son libre-arbitre à l’amateur).
On a l’impression, le plus souvent, que plus une œuvre est bizarre ou laide ou interlope, plus elle a de valeur. Cela doit être une maladie de notre temps.
N’y a-t-il point eu une période Art nouveau, caractérisée par des lignes et des motifs plutôt végétaux, alors que l’industrie battait son plein, et que justement les avancées techniques permettait de créer des œuvres appelant à la nature plutôt qu’à la technique?
Il existe aussi de façon cruelle et quasi hégémonique dans l’art contemporain de la fin du XXème siècle et du début du XXIème une vision qui sépare irrémédiablement l’œuvre, en tant que signifiant, de ce son signifié. C’est ainsi que j’ai pu”admirer” un empilement de cailloux d’occasion perchés sur un pilier de section carrée au Palais de Tokyo, à Paris.
Sacrée recherche artistique… ou bien n’est-ce qu’une imposture de plus afin d’attirer les subventions publiques pour s’épargner le combat de l’accession au graal du RSA? 🙂
Il n’empêche que dans cette gesticulation artistique, chacun peut réunir trois galets afin de les superposer, et cela sans bourse délier. C’est un point non négligeable.
Mais ce ne sera pas l’œuvre unique, bien qu’aisément reproductible, de l’auteur. Quant à sa valeur décorative… il paraîtrait que c’est d’un chic fou… On s’autorise à penser que ce serait même “zen”…
Pour moi, la valeur “zen” commence une fois l’équilibre atteint irrémédiablement (haha!) lorsqu’on a empilé 42 galets.